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Dans la peau d'un jeune kamikaze

Maroc - Societe
La psychologie des kamikazes est un sujet qui intéresse particulièrement le Dr Elmostafa Rezrazi, qui a obtenu un doctorat en psychologie clinique à l'université Mohammed V et un autre en études stratégiques à l'université de Tokyo.

Magharebia a rencontré ce spécialiste marocain à Rabat pour s'entretenir avec lui sur ses récentes découvertes concernant le recrutement, l'endoctrinement et le regret chez les kamikazes.

Magharebia : Le phénomène des kamikazes se développe dans la région du Maghreb. Les gens souhaitent donc en savoir davantage sur le type d'individu susceptible de passer à l'acte. Qu'est-ce qui vous a motivé à choisir ce sujet de recherche ?

Dr. Mostapha Rezrazi : Le terrorisme est un phénomène qui dépasse toutes les limites idéologiques, et qui affecte désormais tous les pays et toutes les religions.

Il a connu un changement il y a une dizaine d'années, lorsque les mouvements jihadistes mondiaux ont migré d'une organisation centralisée des opérations vers des réseaux décentralisés.

Les opérations suicides ne sont pas limitées à la catégorie des personnes non mariées ou pauvres, ou souffrant de dépression, ou aux hommes et non aux femmes, ou aux illettrés, aux personnes non éduquées. La base sociale s'est élargie et inclut maintenant les classes moyenne et élevée, et même les diplômés de l'université.

Magharebia : Pour quelles raisons un jeune peut-il vouloir se faire exploser ?

Rezrazi : Les adolescents constituent encore la catégorie la plus susceptible d'être mobilisée et recrutée, compte tenu de leurs mécanismes de défense précaires et de leur croissance inachevée, particulièrement en termes d'intelligence sociale et émotionnelle.

Si nous acceptons que la majorité des individus recrutés par les groupes jihadistes sont des jeunes, il apparaît clairement que la nature même de l'adolescence joue un rôle certain en ce qu'elle prépare les adolescents à être recrutés, notamment en ce qui concerne leur acceptation des valeurs véhiculées par ce type de groupes, qui reposent sur la motivation de l'agressivité et de la haine.

Magharebia : Comment vos recherches peuvent-elles contribuer à lutter contre le terrorisme et l'insécurité ?

Rezrazi : Par la compréhension de ce phénomène et par l'établissement de stratégies permettant de l'endiguer et de sauver ceux qui en sont victimes. Par ce terme je veux parler de ceux qui exécutent ces opérations après avoir été recrutés, soumis mentalement, psychologiquement et physiquement, puis transformés en machines à tuer en masse, ainsi que de ceux qui ont choisi, pour des raisons subjectives, de mourir et d'entraîner les autres avec eux.

Nous devons étudier ce qui transforme un individu en un être capable de s'annihiler lui-même et d'annihiler les autres.

Magharebia : Êtes-vous parvenu à comprendre ce qui motivait quelqu'un à devenir un kamikaze ?

Rezrazi : Nous avons étudié les documents des organisations jihadistes. Nous avons également interrogé des gens sur l'opinion de la société quant au suicide, examiné des rapports médico-légaux et conduit une étude clinique sur plusieurs cas d'individus n'ayant pas exécuté leur action suicidaire/de martyr.

Le processus de préparation visant à faire accepter à un individu les objectifs du groupe jihadiste comme étant les siens est insuffisant pour créer un kamikaze, s'il n'est pas accompagné d'applications morales, spirituelles et psychologiques visant à atténuer la peur de la mort [...]

Magharebia :Comment les groupes jihadistes utilisent-ils la psychologie pour construire un tueur ?

Rezrazi : La séparation de l'adolescent d'avec sa famille semble être un élément essentiel dans la compréhension des premières étapes de sa transformation en un potentiel kamikaze/martyr.

Lorsqu'un individu ressent des tensions, il a tendance à rechercher des idées et des comportements caractérisés par l'obstination, en tant que mécanisme de défense destiné à protéger la faiblesse qu'il ressent intérieurement.

L'idéologie extrémiste construit un individu arrogant qui se considère comme appartenant au groupe moudjahid, par opposition au groupe jahili […]

Le jihadiste est soumis à des processus destinés à modifier son mode de réflexion et son comportement tout au long des étapes qui suivent son recrutement [...]

Son état de préparation est stimulé par de multiples encouragements religieux, psychologiques et matériels, en commençant par le persuader de la légitimité de l'acte suicidaire, puis en atténuant son inquiétude vis-à-vis de la mort, notamment quant à la douleur possible au moment de l'explosion, et en diminuant son sentiment de culpabilité (s'il existe).

Magharebia : Avez-vous rencontré l'un de ces kamikazes ratés ?

Rezrazi : Le champ de notre étude a inclus plusieurs types d'acteurs : des jihadistes ayant reçu l'intégralité de la préparation les destinant à exécuter l'acte des martyrs, ceux qui travaillaient sur le recrutement et la mobilisation, et ceux qui agissaient en tant qu'idéologues dans le cadre de ces opérations, dans un certain nombre de pays arabes.

Certains d'entre eux étaient en prison, d'autres purgeaient leur peine, et quelques-uns avaient procédé à des révisions idéologiques.

Magharebia : Comment avez-vous procédé pour conduire vos recherches ? Et quelles ont été vos conclusions ?

Rezrazi : Nous avons divisé les phases du développement : une phase pré-recrutement, une phase de domestication et de préparation, et une phase d'achèvement de la construction du jihadiste qui est préparé à mourir [...]

Nous avons tenu à établir une distinction entre les divers changements qui se produisent chez l'individu au cours de ces phases, des plans psychologique et cognitif au plan comportemental.

Nous sommes arrivés à la conclusion que même dans cette phase où la préparation du jihadiste est achevée, tous ne sont pas capables de devenir des kamikazes/martyrs.

Magharebia : Au vu de tout ce que votre recherche vous a appris, que peut-on faire pour protéger les jeunes des groupes jihadistes ?

Rezrazi : Il faut mener des études plus approfondies encore sur ce phénomène, parce que mis à part les efforts en matière de sécurité - que les pays pratiquent déjà à différents niveaux -, les secteurs des soins sociaux et psychologiques semblent encore ne pas être véritablement concernés par cette question.