Vous etes sur la version ARCHIVES. Cliquez ici pour afficher la nouvelle version de iciLome.com
 10:46:28 PM Vendredi, 19 Avril 2024 | 
Actualité  |  Immobilier  |  Annonces classées  |  Forums  |  Annuaire  |  Videos  |  Photos 


De la dawa à la hesba : l'étrange évolution d'Ansar al-Sharia

Tunisie - Societe
Après s'être longtemps appuyé sur la dawa, le mouvement Ansar Al-Sharia a remplacé la prédication pacifique par la violence pour affirmer sa vision de l'avenir.

Les liens que ce mouvement entretient avec le terrorisme le placent dans la ligne de mire des gouvernements du Maghreb.

En août dernier, la Tunisie a officiellement désigné Ansar al-Sharia comme une organisation terroriste liée à al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Les autorités tunisiennes ont récemment identifié cinquante organisations ayant des liens avec Ansar al-Sharia. Les leaders d'une vingtaine de ces mouvements combattent à l'étranger dans les rangs des terroristes ou ont envoyé de jeunes recrues dans les régions qui connaissent une grande instabilité.

Ce groupe interdit est en réalité un terrain de chasse fertile pour les entités terroristes étrangères.

Lorsque l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL) avait fait part, il y a quinze jours, de son intention de recruter des jihadistes maghrébins pour le conflit en Syrie, il avait spécifiquement souligné son intérêt à attirer des membres d'Ansar al-Sharia.

Ansar al-Sharia est également déterminé à renforcer sa propre présence en Afrique du Nord.

Un récent rapport du Centre international de lutte contre le terrorisme (International Centre for Counter-Terrorism - ICCT) retrace l'évolution de l'organisation, en particulier en Tunisie.

La branche tunisienne adopte une approche très stratégique, explique Peter Knoope, directeur de l'ICCT.

"La direction a jugé nécessaire d'adopter un profil bas et de rester pendant un certain temps dans le cadre des limites légales fixées par l'Etat. Elle s'est au départ attachée à la dawa, avant de passer progressivement à la hesba (l'application des règles de la sharia aux personnes). Mais elle n'est passée au jihad que plus tard", explique-t-il.

"En d'autres termes, elle est passée de moyens pacifiques à des moyens plus violents pour imposer sa vision du futur", explique ce spécialiste de la sécurité à Magharebia.

Ce rapport de l'ICCT montre comment les facteurs idéologiques, politiques et stratégiques ont incité le gouvernement tunisien à accentuer ses efforts pour lutter contre Ansar al-Sharia. Il contient de nouvelles révélations à propos de l'organisation et ses liens avec le jihadisme international.

Il décrit également les efforts stratégiques d'Ansar al-Sharia pour porter atteinte à l'économie du pays, signe d'un changement manifeste dans la réflexion de ce groupe terroriste.

Une description confirmée par Abdellah Rami, spécialiste des mouvements salafistes et jihadistes, qui explique que le radicalisme est plus explosif en Tunisie que n'importe où ailleurs dans la région.

"Le taux de jihadisme salafiste est plus accentué en Tunisie", explique-t-il.

La preuve en est, selon lui, le grand nombre de combattants tunisiens en Syrie. La Tunisie a intercepté près de huit mille jeunes jihadistes qui tentaient de partir en Syrie, a indiqué le ministre de l'Intérieur Lotfi Ben Jeddou le mois dernier.

"C'est un chiffre très alarmant que personne n'aurait pu prédire auparavant", explique Rami à Magharebia.

Et de poursuivre : "Cela se produit dans un pays dont, à un certain moment, personne ne s'attendait à ce qu'il produise des jihadistes. Mais après le Printemps arabe, il s'est avéré que la base des jeunes est attirée par l'idéologie du jihadisme salafiste."

"Ennahda, qui essayait de contenir le mouvement salafiste, dont Ansar al-Sharia, l'a vu éclater à la figure de tout le monde", ajoute-t-il.

Le contexte actuel a permis à Ansar al-Sharia de passer de la prédication à l'activisme jihadiste.

Quant à la position de plus en plus violente d'Ansar al-Sharia, Rami laisse entendre qu'elle est étroitement liée à la guerre en Syrie.

"Ces gens se sont radicalisés davantage avec la montée de leurs expériences et de leurs ressources grâce à la guerre en Syrie. Des moyens dont dispose l'aile armée, et non l'aile missionnaire, d'Ansar al-Sharia", explique-t-il.

Cet analyste retrace le chemin : "Au départ, ils avaient tablé sur le contexte d'accueil, en agissant plus amplement sur le volet de la prédication. Avec les changements intervenus en Libye, au Mali, en Egypte et en Syrie, en particulier l'apparition de toute une faction salafiste tunisienne en Syrie, le groupe tunisien a acquis plus d'expérience et a participé à l'élaboration d'un discours plus violent."

"La même évolution se retrouve chez la branche libyenne d'Ansar al-Sharia", ajoute-t-il.

Le rapport de l'ICCT affirme que les activités de dawa d'Ansar al-Sharia étaient fondées sur des méthodes traditionnelles, comme la tenue d'évènements sur les marchés ou dans les universités, l'organisation de manifestations publiques, et le maintien d'une forte présence dans les lieux publics comme les cafés proches des lieux de culte.

Mais Ansar al-Sharia a changé de tactique, en recourant aux armes pour imposer son idéologie. La question est désormais de savoir s'il y aura un bras de fer avec les autorités.

Selon le directeur de l'ICCT, cela dépendra dans une grande mesure de la capacité du gouvernement à lutter contre certains éléments du groupe et à répondre en même temps à leurs aspirations.

"Il est primordial d'établir une distinction entre les acteurs violents et non violents et entre leurs actes. Cette stricte application nécessite des systèmes de gouvernance irréprochables et une société civile très active", explique Knoope.

Quant à la manière dont le groupe se développera en Afrique du Nord, ce spécialiste ne parvient pas à donner des réponses tranchées. "Tout cela est très difficile à prédire", explique-t-il. Il considère que ces organisations se nourrissent des griefs et d'un sentiment d'aliénation et de perte de certitude.

"Ce à quoi nous assistons, c'est une quête de perspective et d'identité au sein du peuple. Un espace suffisamment ouvert au débat pour permettre aux voix critiques de se faire entendre est nécessaire en ces temps d'incertitude. Ce n'est qu'alors que la base de soutien aux messages violents sera mise à mal", fait-il valoir.

Il met également en garde contre le fait que la nouvelle approche stratégique adoptée par Ansar al-Sharia ne doit pas être sous-estimée.

Selon lui, la meilleure réponse réside dans une "coopération internationale destinée à supprimer les ressources financières et les autres moyens d'action de cette organisation, tout en travaillant à développer la résilience de la société".

Amel Boubekeur, spécialiste franco-algérien de l'Islam politique, estime que le Maghreb est confronté à une autre menace.

"La désaffection d'AQMI dans la région peut donner espoir à d'autres mouvements jihadistes comme 'Daesh' (Etat islamique d'Irak et du Levant), de récupérer le vivier de recrutement de jeunes en Afrique du Nord", met-elle en garde.

Mais alors même "qu'il fait partie de ces mouvements jihadistes qui veulent tirer profit des conflits locaux arabes pour étendre leur influence", cela ne sera pas facile, explique-t-elle à Magharebia. Notamment en Libye.

"Pour s'implanter directement en Libye", explique-t-elle, "il devra être capable d'acheter les autres groupes armés de ce pays."