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Si Benghazi tombe, la Libye suivra

Libye - Societe
Le Congrès général national (CGN) libyen a accepté dimanche 30 mars de remplacer l'instance législative par une nouvelle Chambre des représentants. Alors que le pays se prépare à sa prochaine tentative de gouvernance, Magharebia s'est rendu à Susa pour rencontrer le militant et ancien thwar Adel Elhasy et tenter de mieux comprendre les interactions entre politique et sécurité.
Sauf à voir un changement global, cet ancien commandant de la Brigade des Libyens libres envisage un avenir sombre pour son pays.

Magharebia : Parlons de la sécurité. Que cache l'actuel chaos ?

Adel Elhasy : La situation sécuritaire se dégrade, sérieusement. Il n'existe aucune institution reconnue ni active. Pas d'armée, seulement quelques unités militaires placées sous le commandement d'officiers désorganisés et manquant de matériel et d'efficacité. Les forces de police et les autres organes de sécurité, comme les unités d'enquête, ne sont constituées que de gens qui travaillent sans parvenir à aucun résultat.

La ville de Derna a été totalement kidnappée et l'Etat ne peut s'y montrer, et le conseil local n'est pas en mesure d'exercer sa mission sécuritaire, sans même parler de résoudre les meurtres qui s'y produisent tous les jours…

Benghazi a connu près de trois cents assassinats après la libération. Les champs pétroliers sont occupés avec des tentatives de mise sous tutelle, tandis que les Amazighs pratiquent le blocus des oléoducs et entraînent la fermeture de canalisations d'eau dans le sud.

Depuis la révolution, on assiste à une destruction délibérée des institutions militaire, policière et judiciaire visant à empêcher toute reconstruction à moins que celle-ci ne réponde aux desseins étroits d'un seul parti qui affirme sa légitimité… Ce parti n'existe pas dans tout le pays ; on ne le retrouve que dans la capitale et dans certaines autres villes.

Magharebia : Comment jugez-vous le travail du CGN ?

Elhasy : Les élections du 7 juillet ont certes constitué un progrès, dans la mesure où elles ont été le premier processus démocratique après le coup d'Etat de septembre. Mais après que les divisions internes au sein du CGN soient apparues au grand jour, le pays s'est orienté vers la division, le régionalisme et la multiplication des centres de pouvoir.

Nous avons assisté à des crises que nous n'avions jamais vues du temps du Conseil de transition, qui était parvenu à maintenir l'unité nationale avec une relative stabilité.

Le congrès et le gouvernement auxquels il a donné naissance… ont échoué à tous les niveaux. La législation qu'ils ont mise en place a engendré des crises, comme la loi sur l'isolement politique. Plutôt que d'isoler les piliers de l'ancien régime, ses voleurs et ses suceurs de sang, ils ont choisi d'isoler collectivement toutes nos compétences nationales.

Les Libyens souffrent économiquement. Près de 300 milliards ont été pillés durant les deux périodes de transition, qui n'ont apporté aucun résultat. Les appareils militaire, sécuritaire et judiciaire sont finis. La criminalité est omniprésente…

Le monde a découvert l'incapacité des Libyens à trouver une solution de leur propre chef.

Magharebia : Qui ou quoi est responsable de cette insécurité permanente ?

Elhasy : Cette responsabilité se partage entre le CGN et le gouvernement, mais le CGN en porte une part bien plus grande car c'est lui qui a créé le gouvernement, a délégué les taches à des instances étrangères et n'a pas été en mesure de définir de manière claire comment pénaliser le port d'armes en dehors du cadre des instances de sécurité. Au lieu de cela, il s'est contenté d'édicter des lois qui n'avaient aucune priorité.

Délibérément, le congrès ne voulait pas voir l'Etat et ses institutions sécuritaires fonctionner, au prétexte de l'existence de fidèles de l'ancien régime ou de la corruption au sein de ces institutions…

Pendant ce temps, les forces dominantes au sein du congrès ont cherché des alternatives, comme la Garde nationale, pour remplacer l'armée, et des comités de sécurité pour remplacer la police.

Elles tentent aussi, par la pression, de créer des entités ayant une idéologie spécifique et de leur transférer les tâches généralement et mondialement dévolues aux institutions sécuritaires.

Magharebia : L'absence d'institutions d'Etat efficaces a donc été un fait délibéré ?

Elhasy : Oui, délibéré. La Libye a dépensé trois cents milliards, qui auraient été bien plus utiles pour intégrer les rebelles dans ces institutions, leur faire respecter la loi et les rendre plus compétents grâce à un soutien et une formation. Elle n'a fourni aucune caméra de surveillance à Benghazi, alors qu'elle a dépensé 900 millions pour les Boucliers.

Magharebia : Qu'en est-il des mouvements islamistes ?

Elhasy : Si nous regardons l'histoire du Groupe islamique combattant libyen (GICL), nous voyons qu'il a participé à de nombreuses opérations contre Kadhafi dans les années 1990, qui ont valu à nombre de ses membres la prison et la torture. Ils ont alors revu leur idéologie… Ils ont tenté de se reconditionner.

Ils ont organisé leurs rangs, infiltré les institutions, gagné en puissance, et considéré la Libye comme un Etat placé sous leur idéologie et leur leadership… Leur loyauté n'est pas locale et bien qu'il affirment que leur projet est de nature islamique, tout ce qu'ils recherchent, c'est le pouvoir.

La révolution est née dans la rue et certains courants, comme les Frères musulmans, qui disposent d'un soutien international, l'ont utilisée. Nous en souffrirons encore pendant quelque temps, par suite du contrôle qu'ils exercent sur l'Etat, les ministères et les positions dirigeantes. Aujourd'hui, ils représentent la Libye en tant qu'Etat, alors qu'ils ne constituent qu'une organisation sans aucune loyauté nationale.

Magharebia : Cela est-il le cas pour l'ensemble de la mouvance islamiste ?

Elhasy : Il existe une alliance entre les factions, mais elles s'affronteront très vite, lorsqu'elles devront se partager le gâteau.

Les Frères musulmans et le groupe combattant militant sont alliés pour accéder au pouvoir, mais ils s'affronteront lors du partage. La voix de la tendance centriste peine à se faire entendre sans financier et est désormais accusée de s'aliéner la plupart des personnes du projet islamique, qui, s'il était présenté de manière éclairée, pourrait avoir un fort impact. Le groupe salafiste est actif dans son travail de militantisme, mais il n'a aucune existence politique et est lancé dans un affrontement intellectuel avec la mouvance jihadiste fondamentaliste.

Magharebia : Qu'est-ce que tout cela implique en termes de sécurité pour Benghazi ?

Elhasy : Benghazi est un cas unique… la ville repose sur un tissu de tribus et d'alliances, et si elles échouent et succombent à la doctrine takfiriste, ceux qui portent l'habit de gardiens, alors ce sera toute la Libye qui tombera…

Magharebia : Les formations armées ont-elles une place sur la scène politique ?

Elhasy : La plupart de ces brigades ont été formées après la libération. Certains de leurs leaders étaient inconnus auparavant et appartenaient au Groupe islamique combattant. Les médias ont contribué à en faire des héros, bien qu'ils n'aient joué aucun rôle durant la révolution.

Ils ont été libérés de prison par la révolution et tentent aujourd'hui de se présenter en gardiens du peuple. Avant la création du "conseil des révolutionnaires" [NdR. le Conseil des opérations des révolutionnaires libyens], il existait des bataillons de rebelles. Puis de nouveaux noms sont apparus, comme la Garde nationale, les Boucliers, et le "Conseil des rebelles".

Ils tentent aujourd'hui de se vêtir des habits des rebelles, bien que la majorité de ceux-ci ne soient pas de leur côté.

Magharebia : Les courants libéraux ne portent-ils pas une part de responsabilité de la situation actuelle ?

Elhasy : Si, le CGN se compose du mouvement islamiste et des forces de l'Alliance nationale. Cette coalition est responsable d'une grande part de la situation actuelle. Elle a adopté de nombreuses lois, notamment la loi sur l'isolement politique.

Les indépendants en ont été les auteurs, mais ils ont ensuite été achetés par l'argent de la politique. Certains d'entre eux sont des patriotes, mais ils n'ont aucune expérience politique.