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Interview exclusive / Mohamed Madi Djabakate : « Les pays africains ont besoin d’Organes de Gestion des Elections forts et non d’Agents Electoraux Forts »

Togo - Politique
Politologue, expert des affaires politiques, paix et sécurité, Mohamed Madi DJABAKATE est auteur de plusieurs ouvrages dont L’autorité électorale à l’épreuve de l’alternance démocratique au sommet de l’Etat. Pour en savoir plus sur cette œuvre qui aborde la sempiternelle question des élections en Afrique et l’alternance démocratique, le site « togotopnews.com », l’a approché. Dans cet entretien, l’auteur livre le contenu de son ouvrage, qui met un accent particulier sur le rôle prépondérant des Organes de gestion des élections (OGE) dans la matérialisation de cette alternance. Lecture :
Vous êtes juriste, politologue, expert des affaires politiques, paix et sécurité et également auteur de plusieurs ouvrages dont L’autorité électorale à l’épreuve de l’alternance démocratique au sommet de l’Etat. Dites-nous de façon succincte le contenu de l’ouvrage ?

Cette nouvelle œuvre aborde un sujet qui, en soit, est vieux mais demeure d’actualité. Depuis les années 90 le principe des élections libres a été retenu en Afrique francophone contemporaine comme moyen démocratique d’accéder au pouvoir.

Si avec les premières élections, bon nombre des protagonistes se sont réjouis, il ne leur a pas fallu plus de deux élections pour redescendre de leurs nuages. Car même si certains pays comme le Benin et le Sénégal sont désormais des exemples probants de l’alternance électorale, les élections sont souvent contestées et débouchent sur des vagues de violence. Ce détournement du principe des élections au profit d’une certaine majorité qui a su monopoliser tous les leviers politiques, économiques et sociaux est à la fois une réalité et une menace à la stabilité des démocraties embryonnaires africaines.

Et face à ce chaos, les différents acteurs du processus électoral suivant leurs bords respectifs trouvent toujours des explications à ces rendez-vous manqués. Pour les opposants, c’est la conséquence logique des irrégularités et fraudes savamment orchestrées par le pourvoir en place pour faire échec à l'alternance par les urnes. Pour les partis au pouvoir, c’est l’expression de la confiance renouvelée par le peuple au pouvoir en place pour les différents chantiers de développement qu’il a eu à faire durant son mandat ou règne. Enfin, pour les analystes, tout était prévisible du fait de l’incohérence du cadre légal des élections dans un contexte ou le vote identitaire ou ethnique est prédominant. Et au centre de toutes ces contestations, on retrouve les Organes de Gestion des Elections (OGE).

Du fait que la tenue des élections dépend essentiellement des Organes de Gestion des Elections toute issue desdits scrutins est imputable à ces derniers. Et c’est cette attente des acteurs vis-à-vis de ces OGE qui nous pousse à mieux les informer sur le mandat de ces structures. En raison du rôle prépondérant qu’est celui des OGE dans la matérialisation de cette alternance tant espérée et souhaitée, il y a nécessité de chercher à clarifier la situation en vue de contenir les attentes débordantes des différents acteurs des processus.

Aux termes de cette rédaction, nous nous sommes attelés à mieux éclairer le public sur les compétences des OGE et le rôle partiel, mais il est vrai non négligeable, qui est le leur lors des processus électoraux.

Quelle est l’opportunité d’écrire ce livre sur la problématique des élections alors que dans le domaine des publications ne manquent. Avez-vous ajoutez un plus à la littérature dans ce domaine ?

Cet ouvrage se situe dans le prolongement de mon engagement à apporter ma contribution aux questions d’actualité sur le continent. La situation sociopolitique en cours sur le continent, précisément en Afrique subsaharienne francophone, depuis près de deux décennies ne peut que nous contraindre à nous intéresser à la problématique de l’alternance électorale.

La détérioration du climat politique dans certains pays et son impact ou ses répercussions sur d’autres pays voisins illustre suffisamment que les questions politiques ne sont plus désormais limitées aux sphères nationales. Dorénavant, elles deviennent des préoccupations nationales, régionales, et bien souvent internationales. Pour exemple, la problématique du troisième mandat recherché par plusieurs présidents (Burundi, Burkina, Congo, Togo) et son impact sur leurs pays respectifs. Ce qui est dorénavant en jeu, c’est le caractère libre, pluriel et démocratique des élections.

La thématique des élections a été abordée par plusieurs personnes avant nous, mais assez souvent sans faire ressortir l’importance ou éclairer suffisamment sur le mandat qui incombe aux OGE dans les différents pays. Cette publication est en elle-même la preuve que le sujet demeure d’actualité mais aussi qu’aucune des publications précédentes ne saurait être considérée comme ayant épuisé définitivement la question. Ce qui n’est pas non plus notre prétention présentement car ce que nous avons proposé dans cet ouvrage n’échappe pas non plus à la règle.

Aussi, nous nous sommes proposés de rédiger ces lignes à l’intention des principaux acteurs des processus électoraux qui à l’issue de chaque déconvenue électorale trouvent en les OGE des boucs émissaires crédibles à qui leur échec peut être intégralement imputée.

La décision de publier cet ouvrage se justifie par notre engagement en tant qu’ancien membre d’un OGE à créer le débat afin de contribuer à renforcer les prérogatives des OGE afin que ceux-ci ne soient plus de simples structures de mise en œuvre. Les OGE doivent voir leurs compétences renforcées afin de contrôler le processus électoral dans son entièreté: planifier, exécuter et évaluer.

Comment-expliquez vous à travers l’ouvrage le fait qu’à chaque élection surtout en Afrique francophone, il y a toujours la contestation des résultats et surtout des frustrations par rapport au rôle joué par les organes de gestion des élections ?

A cette question je donnerai une réponse simple : les acteurs politiques ne connaissent pas le rôle des OGE. C’est la conséquence d’un déficit d’éducation civique électoral dans les différents pays.

Il est vrai que cette ignorance incombe en premier chef aux OGE eux-mêmes. Car ils sont les premiers dépositaires de cette formation et sensibilisation qui doit être faite à l’endroit des différents acteurs impliqués dans le processus électoral. L’éducation peut sembler bien loin du rôle traditionnel des organismes de gestion électorale qui consiste en la préparation et en la conduite des activités logistiques nécessaires à la tenue d’élections. Cependant, l’éducation représente un secteur de plus en plus important pour ces organismes étant donné qu’un lien direct les unit. Pour qu’une élection soit réussie et démocratique, les électeurs doivent comprendre leurs droits et leurs responsabilités, et doivent de plus être bien informés et renseignés pour vraiment participer au processus électoral. Elle influence positivement les principaux facteurs associés à la participation électorale, comme les connaissances politiques, l'intérêt pour la politique, les attitudes, la participation civique et l'intention de voter.

Mais les partis politiques ont aussi leur part de responsabilité. Ils ne se donnent pas la peine de bien former leurs militants.

Et cette répartition des responsabilités ne peut pas passer sous silence l’échec des Organisations de la Société Civile. Il ne sert à rien d’aller observer des élections, quand vous ne vous donnez pas la peine de bien former les électeurs en aval.

L’éducation électorale a un impact sur contexte social et politique dans lequel est tenu une élection ou un référendum.

On observe sur ce plan une différence avec les pays d’Afrique anglophone. Comment expliquez-vous cette situation ?

Nous n’allons pas tomber dans ce piège lié à la puissance colonisatrice. Tout comme des pays francophones sont cités comme de mauvais élèves, certains pays anglophones sont également identifiés comme tel.

Nous dirons juste que les pays africains ont besoin d’Organes de Gestion des Elections forts et non d’Agents Electoraux Forts.

Les OGE doivent voir renforcer leurs prérogatives et être dotés de ressources (humaines, matérielles, financières) nécessaires pour mettre en œuvre le mandat qui leur est confié.

Comment remédier à ce problème de crédibilité des organes de gestion des élections ?

La plupart des OGE ont une indépendance limitée, des mandats flous et des ressources inadéquates. Il faut remédier à cela et clarifier également les procédures de nomination et la durée du mandat des membres des OGE. Ces reformes contribueront à renforcer la légitimité et la crédibilité des processus électoraux.

Que dit votre livre à propos de la composition de ces organes de gestions des élections ?

La composition des OGE initialement définie comme leur principale force s’avère être au fil du temps leur principale faiblesse. Les OGE n’étant pas dotés d’un caractère permanent, ils sont toujours mis en place à la veille des opérations électorales et au gré de la couleur du moment dans les différentes composantes chargées de désigner les futurs membres.

Si leur composition est une garantie de leur acceptation par tous les partenaires, elle n’est pas sans conséquence sur la gouvernance électorale.

Par ailleurs, l’attention accordée à la composition des OGE a occulté le débat relatif à leurs attributions, permettant ainsi de restreindre leurs compétences au profit d’autres institutions garantes de la démocratie.

Cette composition n’est-elle pas des germes de conflits dans la mesure où les partis envoient dans l’organe de gestion les activistes ou militants politiques ?

L’objectif poursuivi est d’assurer une représentation favorable. Pour se faire, les réformes successives du cadre électoral visent avant tout à garantir le contrôle des OGE. Ce qui malheureusement ou heureusement suivant les cas, permet soit d’atteindre l’équité tant souhaitée ou carrément sa perversion.

Que ce soit au Togo, au Burkina Faso, au Sénégal, au Niger, en RDC et en Côte d’Ivoire, les OGE n’ont pas échappé aux restructurations partisanes initiées au fil des ans, en vue d’atteindre une équité électorale présumée.

Le point de voûte de l’efficacité des OGE se trouve au niveau des membres qui y sont nominés puisqu’étant essentiellement présents au sein de l’institution pour défendre des intérêts partisans.

Les membres des OGE qui ont été nommés par les partis politiques sont restés fidèles à ces partis. Par conséquent, les OGE deviennent très polarisés pendant le processus électoral, empêchant ainsi le développement d’une administration électorale neutre et professionnelle nécessaire à l’institutionnalisation d’une démocratie électorale. La polarisation des OGE, selon des divisions partisanes, est un facteur important contribuant à l’incapacité de l’institution de produire des directives et des procédures en temps voulu. Cela affecte la performance des fonctionnaires électoraux et entraine des crises de crédibilité et des batailles partisanes pour la direction des OGE. Ce qui inévitablement conduit à la quasi-paralysie des OGE.

Au-delà de cette difficulté liée à la composition, il faut noter une indépendance ou une autonomie relative, du fait que les activités des OGE sont dépendantes du financement de l’État.

La création des organes de gestions des élections permanents est –elle la panacée pour remédier à ce problème de crédibilité des organes de gestion des élections ?

Oui. C’est l’objectif qui doit être atteint. Avoir des OGE permanents et purement techniques avec un mandat clair.

Pour ce faire, il y a lieu de dépolitiser les OGE. Il faudra mettre en place des OGE purement techniques dont les activités peuvent être supervisées par un semblant de Conseil d’Administration composé des politiques.

Nous sommes à la fin de l’entretien, avez-vous un mot en guise de conclusion ?

Le caractère libre, transparent et équitable des élections tel que prôné est mis à mal dans plusieurs pays de l’Afrique subsaharienne francophone et hypothèque ainsi les espoirs de l’ère démocratique amorcée au lendemain du Discours de la Baule.

Les OGE constituent de lourdes machineries, otages des intrigues partisanes et engluées dans une procédure inaccessible aux citoyens, fortement politisés et compliqués par l’imprécision qui caractérise la définition des élections libres et honnêtes relevant de leurs compétences.
Une participation populaire accrue dans le processus électoral est l’une des façons les plus importantes de consolider la démocratie. Ceci ne peut être réalisé que si le public a confiance dans le processus électoral, et si celui-ci lui est accessible. Un manque de confiance et un accès limité peuvent conduire à l’apathie électorale, comme l’indique généralement le faible taux de participation aux élections dans certains pays de la région.

Et surtout, retenons que les OGE ne sont pas détentrices du processus électoral dans son entièreté. Le dernier mot revient aux juridictions chargées de gérer les contentieux électoraux.

Propos recueillis par Hélène Doubidji