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Débat sur la non rétroactivité de la réforme constitutionnelle Le Professeur Komi Wolou recadre son collègue Dodji Kokoroko

Togo - Politique
La sortie du Pr Dodji Kokoroko sur le débat sur la non rétroactivité de la réforme constitutionnelle suscite des réactions. La plus sérieuse est celle de son collègue Komi Wolou, Porte-parole du Pacte socialiste pour le renouveau (PSR) et Coordonnateur adjoint du Collectif « Savons le Togo ». Mais il répond à son collègue Dodji Kokoroko avec sa casquette de professeur de Droit. Il relève la confusion savante semée dans les esprits. Lecture.
La prétendue invocation par l’opposition togolaise de la rétroactivité de la loi constitutionnelle

Dans sa parution du mardi 9 septembre 2014, Forum citant le Professeur KOKOROKO, titrait un de ses articles : « Scientifiquement, la rétroactivité de la loi constitutionnelle brandie par une partie de l’opposition ne tient pas debout, sauf à m’apporter des arguments contraires solides ».

Cet article rapportait les propos de mon collègue et ami le Professeur titulaire KOKOROKO que le journaliste avait approché, suite à « l’incompréhension que notre (le journal) publication a semblé semer dans certains esprits au sein de l’opinion ». Le journaliste conclut son article par « Qui dit mieux ?». Je voudrais apporter des arguments contraires, conformément aux vœux du professeur, tout en laissant le soin au lecteur d’apprécier leur solidité.

Je vais seulement ici relever ce qui à mes yeux constitue des insuffisances, sans engager un réel débat sur le sens, la valeur et la portée des règles puisque tout compte fait, les réformes qui suscitent toutes ces réactions n’ont pas encore été réalisées. Néanmoins je suis entièrement favorable à toute confrontation sur la question, soit sur les médias ou dans un cadre strictement scientifique, par exemple à l’occasion d’un colloque à l’université.

Je rappelle que j’ai souvent pris position sur cette question au nom de l’opposition, même si je ne l’ai jamais fait par un écrit. Ma coloration politique est de nature à faire penser que mes positions ou mes analyses sont plus politiques que scientifiques. C’est pour cette raison que par moments, je vais produire les passages du cours (Introduction à l’étude du droit, cours de premier semestre) que je dispense sur la question depuis plusieurs années, d’abord à l’Université de Lomé où je ne dispense plus ce cours et ensuite Kara où je continue de le faire. Les passages que je citerai pourront être retrouvés intégralement en consultant les cours polycopiés que je mets chaque année à la disposition de mes étudiants. Ils vous le confirmeront. Mon analyse demeure donc strictement scientifique.
J’affirme une fois encore que ceux qui abordent la question de l’application de la limitation des mandats à l’actuel président de la République, en se situant sur le terrain de la rétroactivité, font fausse route. Le principe est ailleurs. Mais une observation préalable. En toute logique, ce n’est pas l’opposition togolaise qui invoque le principe de la non rétroactivité, mais ceux qui voudraient que la réforme envisagée ne soit pas appliquée à l’actuel chef de l’Etat. Le mot rétroactivité n’a été introduit dans le débat que par les partisans du régime. L’opposition togolaise n’a jamais soutenu la rétroactivité de la loi constitutionnelle, mais l’application immédiate de la loi. Ces deux notions ont des sens précis.

Mon collègue affirme sur l’application immédiate que « Au surplus, l’on évoque l’immédiateté de la réforme, mais elle ne saurait être rétroactive car tombant sous le coup de la théorie des droits acquis au nom de la sécurité juridique ».
Cette affirmation appelle des observations. La première, c’est de relever avec évidence que l’affirmation selon laquelle « l’immédiateté ne saurait être rétroactive » ne contribue pas à éclairer le débat. Elle est source de confusion. L’application immédiate n’est pas la rétroactivité.

Ensuite, la théorie des droits acquis évoquée, se situe dans la logique de la théorie classique sur l’application de la loi dans le temps qui a fait l’objet de réelles critiques. Voici un passage du cours :
[« Aux termes de l’article 2 du code civil, « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Sur la base de ce texte a été élaborée une première théorie dite la théorie classique à laquelle a succédé la théorie du doyen Paul Roubier.
La théorie classique distinguait droits acquis et simple expectative de droit. Ainsi alors que la loi nouvelle ne pouvait s’appliquer aux droits acquis en vertu du principe de la non-rétroactivité, elle pouvait l’être à de simples expectatives de droit qui ne sont pas encore entrées dans le patrimoine.

Critique de la théorie classique : En premier lieu, cette théorie s’applique mal à des droits dépourvus de valeur patrimoniale. A titre d’exemple, lorsqu’une nouvelle loi permet ou élargit les cas de recherche de paternité, doit-on considérer que le père d’un enfant naturel précédemment né a acquis ou non le droit de ne pas reconnaître cet enfant ? Cette notion de droit acquis ne paraît pas suffisante. En second lieu, la théorie classique présente le problème de conflits des lois comme celui d’un droit subjectif menacé par le droit objectif.

La nouvelle construction élaborée par Paul ROUBIER repose sur la notion de situation juridique. Il distingue deux phases dans ses situations juridiques : leur constitution ou leur extinction, et les effets qu’elles produisent. Selon lui, les problèmes de l’application de la loi dans le temps se résolvent par deux principes : la non rétroactivité de la loi de la loi nouvelle, l’application immédiate de la loi nouvelle »].
On le constate, la non rétroactivité est différente de l’application immédiate de la loi.

Quelques mots sur l’application immédiate de la loi. Je reproduis le passage du cours [Effet immédiat de la loi nouvelle
Une trop longue survie de la loi ancienne, combinée avec l’entrée en vigueur de la loi nouvelle pour une même situation juridique risquerait d’aboutir à une confusion inextricable. L’effet immédiat de la loi nouvelle se traduit par deux propositions et connaît une exception.

• La loi nouvelle s’applique immédiatement à la constitution ou à l’extinction de situations juridiques postérieures à son entrée en vigueur.
Elle s’applique également aux situations juridiques en cours de constitution ou d’extinction, mais ce qui avait été acquis sous la loi ancienne demeure…
• La loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation juridique née antérieurement à son entrée en vigueur.
• La survie de la loi ancienne s’agissant des contrats en cours.
Par exception, la loi nouvelle ne s’applique pas immédiatement au contrat en cours. Selon la cour de cassation, « les effets d’un contrat sont régis en principe par la loi en vigueur au moment où il est passé ». La solution a été récemment réitérée par la cour. Cette survie de la loi ancienne repose sur la nécessité de respecter les prévisions des parties lors de la conclusion du contrat, prévisions fondées sur la loi ancienne.
Le législateur peut toutefois décider que la loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets des contrats en cours.
Le juge peut également décider l’application immédiate de la loi nouvelle aux effets d’un contrat en cours si cette loi est d’ordre public.]

Sur les droits acquis

La notion de droits acquis pose problème lorsque nous sommes en présence d’une situation extrapatrimoniale. En quoi consiste le droit acquis au cas où il y aurait eu limitation de mandats? Un droit acquis à un troisième mandat ? Un droit aux deux mandats passés. Le droit acquis signifie –t-il l’effacement de ce qui est, et corrélativement les deux mandats déjà effectués ? Certainement pas.
Il faut préciser que la notion de droit acquis a pour finalité de ne pas remettre en cause un droit déjà entré dans le patrimoine du sujet de droits, par exemple une indemnité déjà allouée au salarié avant la loi nouvelle.

Mon ami se réfère à la sécurité juridique. La sécurité, c’est la situation de celui ou ce qui est à l’abri d’un risque. Il s’agit ici d’un risque juridique. C’est le « besoin juridique élémentaire et, si l’on ose dire, animal », affirmait Carbonnier. Ce besoin implique « une garantie ou une protection tendant à exclure, du champ juridique, le risque d’incertitude ou de changement brutal, dans l’application du droit », disait M. KDHIR.

Peut-on alléguer la sécurité juridique en faisant abstraction de la finalité de la loi ? Quel serait le risque encouru par le président actuel, si le nombre de mandat venait à être limité à deux ? A supposer qu’il y ait un risque avéré, ce risque pourrait-il justifier que soit repoussée pour 10 ans l’application de la réforme éventuelle qui, elle, vise une meilleure transparence dans l’intérêt général ? Lorsqu’un principe est dissocié de sa finalité et de son contexte, il peut devenir un danger pour tous.

Mon collègue a bien voulu se référer aux décisions du Conseil d’Etat. Je lisais il y a quelques jours sur le site de cette institution, « Chaque décision de justice doit être mise à l’épreuve de l’intérêt général ». Je voudrais paraphraser l’auteur en relevant dans le présent contexte que l’interprétation de la règle de droit doit être mise au service de l’intérêt général. Nous aurons ensemble l’occasion, le moment venu, de présenter chacun sa conception de l’intérêt général dans le contexte de la limitation de mandat.

Selon le même article, le Professeur KOKOROKO a illustré sa démonstration en soulignant que le conseil d’Etat a consacré « la modulation dans le temps des décisions administratives (un classique de la 2e année Droit administratif)».

En quoi consiste la modulation dans le temps des décisions administratives ? J’irai à l’essentiel. En principe, l’annulation d’un acte (par exemple une loi) par une décision de justice produit des effets rétroactifs. Ceci signifie que l’acte est censé n’avoir jamais existé d’un point de vue normatif et donc n’a produit aucun effet. On fait comme si cet acte n’a été qu’un rêve. Or, la mise en œuvre rigoureuse de cette rétroactivité pourrait compromettre la sécurité juridique de ceux à l’égard de qui l’acte a pu produire déjà des effets. Il y aurait alors instabilité dans les relations juridiques. Pour atténuer les effets de la rétroactivité de la décision qui annule un acte, on admet que l’acte annulé puisse conserver certains effets. Il s’agit d’un mécanisme de contournement permettant de « préserver une norme irrégulière de la censure ».

Si l’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu, l’office du juge peut le conduire exceptionnellement, lorsque les conséquences d’une annulation rétroactive seraient manifestement excessives pour les intérêts publics et privés en présence, à moduler dans le temps les effets de l’annulation qu’il prononce (Ass., 11 mai 2004, Association AC ! et autres).

Même en la matière, l’effet immédiat de la censure est admis en ce que la censure sera appliquée à toutes les situations juridiques en cours, c’est-à-dire les situations dont les effets ne sont pas achevés, au moment de la décision de censure. « C’est précisément cet effet immédiat général qui est défendu par KELSEN et qui ne remet pas en cause la sécurité juridique » (Voir Xavier MAGNON, Professeur à l’Université de Toulouse 1 capitole, « La modulation des effets dans le temps des décisions des juges constitutionnels »).

Le rapprochement que fait mon collègue sur l’application immédiate de la loi constitutionnelle nouvelle (que défend l’opposition) et la modulation dans le temps des décisions administratives (technique visant à réduire les inconvénients de la rétroactivité des décisions) d’une part et les conséquences qu’il en tire d’autre part ne me paraissent donc pas évidents.

Je voudrais ajouter que le Conseil constitutionnel en France dans sa décision N° 98-407 DC du 14 janvier 1999 sur « La loi relative au mode d’élection des conseillers régionaux et des conseillers à l’Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux » reconnaît implicitement mais aussi clairement l’application immédiate de la loi en l’absence de toute précision dans les dispositions finales de la loi.

On peut encore lire dans l’article de Forum ce qui suit : « il va sans dire que juridiquement, la rétroactivité ne pourra s’appliquer à une éventuelle réforme et de surcroît, toute loi reste impersonnelle, sauf à innover en la matière ».

Il y a à mon avis, une confusion persistante qui conduit à se placer sur le terrain de la rétroactivité. Ce que l’on veut régir, la situation dont la constitution est en jeu, c’est le prochain mandat et non les mandats passés. Les mandats passés sont une constante, une situation juridique établie que la loi nouvelle n’a pas pour vocation ni d’ignorer, ni d’effacer. Effectuer un nouveau mandat conduirait donc à dépasser les deux mandats prévus par la loi nouvelle qui serait déjà entrée en vigueur. C’est le sens de l’application immédiate de la loi. Le principe de la non rétroactivité de la loi ne peut se réduire à un effacement fictif du passé. Il n’a pas pour fondement l’oubli.
La loi est impersonnelle rappelle à juste titre le collègue. Je reproduis une fois encore un passage de mon cours sur cet aspect.
[La règle de droit est générale et impersonnelle

Ceci signifie que la règle de droit n’est pas faite pour un cas particulier ; elle concerne chacun et ne désigne personne en particulier. Cette généralité de la loi est traduite par l’article 6 de la Déclaration des Droit de l’Homme et du citoyen à savoir la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège soit qu’elle punisse ».
L’article 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 reprend le même principe en disposant que « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi »].

Alors, si la réforme envisagée venait à limiter les mandats à deux, pourquoi voudriez-vous que l’actuel président fasse un troisième mandat ? Pourquoi doit-on lui faire une situation particulière ? La loi deviendrait personnelle si on aménageait une situation particulière à Faure. Nul besoin d’innover en la matière. Il suffit de lire attentivement les textes. Le débat continue.

Professeur Agrégé Komi WOLOU
Porte-parole du PSR
Coordinateur adjoint du CST