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Disparition de Logo Dossouvi : entretien avec Bassirou AYÉVA Ex coordinateur Général du Mouvement Patriotique du 5 Octobre

Togo - Politique
On le savait malade depuis quelques temps. Mais personne ne s’attendait à le voir quitter ce bas-monde aussi tôt. Et pourtant, il vient de tirer sa révérence. Il s’en est allé, laissant le chantier en friche, inachevé. La maladie a eu raison du combattant Logo, un nom à jamais lié à l’histoire des luttes pour la conquête d’espaces de liberté et des droits humains chez nous. Moteur essentiel du soulèvement populaire du 5 Octobre 1990, il est l’un des membres fondateurs du Mouvement Patriotique de ce même 5 Octobre, MO5, aux côté de feu Linus Folly, Don Ray, Tavio Amorin, Bassirou Ayéva et bien d'autres encore.
Le combattant Logo s’en est allé nous laissant le soin de feuilleter le livre de sa vie et d’outre-tombe, il nous interpelle de ne pas dormir sur les lauriers de minces acquis démocratiques triomphant aujourd’hui au Togo. Sa vie tumultueuse, a été faite de sacrifices, de blessures physiques et psychologiques après son séjour dans les geôles de Gnassingbé père que notre histoire est loin d’oublier. Cette vie du combattant a peut-être cru aux fausses sirènes démocratiques savamment orchestrées. Ce qui expliquerait le ralliement du combattant au fils du dictateur devenu par la force de la baïonnette président à la place de son père. Ce violent tournant du combattant déterminé qu’était Logo ne fut pas compris par la population et surtout pas par ses ex-camarades du MO5. Toujours est-il qu’entre lui et ses anciens camarades, les ponts, lorsqu’ils n’ont pas été rompus avec le soldat Logo désormais rallié à l’adversaire, à l’ennemi et sa famille politique, les vases communicants ne laissaient plus couler abondamment l’eau dont avait besoin les friches démocratiques. Ce, jusqu’à ce fatal 15 mars, où survint son départ sans retour. Le MO5 et le combat avaient fait de ces acteurs des amis et des frères. Ensemble ils ont déjoué des attentats qui visaient à les liquider. Ensemble, ils ont rédigé et publié des pages et des pages d’articles fustigeant la dictature, dénonçant les traîtres et mobilisant les masses. Ensemble ils ont dressé des barricades et fait incendier des pneus. Ensemble, ils ont fait douter le dictateur et vaciller son pouvoir. Ensemble, ils ont rêvé de liberté et de justice pour leur terre, pour leur peuple. Parmi eux donc, il y a comme nous le mentionnons, Bassirou Ayéva, premier coordinateur général du MO5 (1991-1993). Votre journal en ligne basé en Allemagne s’est entretenu avec lui pour mieux cerner la personnalité du défunt. Pour définir également la contribution oh combien appréciable de Logo, à l’avènement d’une démocratie naissante au Togo avec son corollaire de liberté d’expression et d’opinion hélas restée balbutiante .à cause de la mauvaise foi de certains.

Togonews.info: Nous déplorons la disparition d’un combattant de la liberté et de la justice, Logo Dossouvi. Vous l’avez connu, comment pouvez-vous le présenter à nos lecteurs?

Bassirou Ayeva: Celui que nous venons de perdre n’était pas seulement un camarade de lutte, un ami, mais un frère. Vous savez, la lutte démocratique est une démarche qui exige parfois de nous un investissement au plus profond de nous-mêmes lorsqu’on est animé du goût de la remise en question de ses propres convictions pour qu’advienne l’idéal pour lequel on est prêt à mourir. C’est en ces mots que je me permets de résumer le cheminement du combat de Logo Dossouvi avec qui nous avons eu à partager les moments cruciaux de la longue marche vers la démocratie toujours en chantier chez nous.
Hilaire aimait passionnément son pays. Mais il le voulait surtout libre, démocratique et respectueux des Droits de la personne humaine. Idéaliste et activiste « Fétiche » ne reculait devant aucune difficulté au point de passer pour un téméraire.

Togonews.info: Comment et quand vous êtes-vous rencontrés ? Et que laisse -t-il selon vous comme héritage ?

Bassirou Ayeva: Nous étions vers la fin des années 80. J’animais la rubrique sportive du journal gouvernemental « La Nouvelle Marche » actuellement « Togo Presse » de son vrai nom où travaillait également M. Edina Logo, devenu quelques années plus tard, rédacteur en chef de la publication. Etant étudiant en journalisme à l’Université du Benin, Lomé, Logo Dossouvi avait ses entrées dans les rédactions de la presse gouvernementale togolaise.
Nos premiers contacts et nos premiers sujets ont porté sur les analyses acerbes, disons les critiques que j’osais porter à l’endroit non seulement des sportifs, mais aussi à l’endroit des dirigeants qui à l’époque étaient des officiers supérieurs des FAT. Entre deux conversations Logo me parlait politique. Il faut avouer qu’au départ, j’étais très méfiant, j’avais même peur, pour être plus franc, car nous étions à un moment où dans le pays, chacun se méfiait de tout le monde, d’autant qu’une critique contre le régime était synonyme de tous les dangers. Un semblant de confiance s’établit entre nous et nous nous rencontrions de plus en plus. Nous avons réussi à instaurer une certaine confiance, même si de mon côté, connaissant le système de l’intérieur, j’observais un peu de retenu, de réserve. Logo était toujours enthousiaste, passionné, émotif lorsque nous évoquions des sujets de politique intérieure, de la dictature. Il finit par me parler un jour de publication clandestine, de structure clandestine de combat politique. L’emprisonnement du Géneral Mèmène – à l’époque- un très proche collaborateur du général Èyadèma a été l’élément déclencheur de notre rapprochement et plus tard de notre complicité. Nous voulions médiatiser davantage cette affaire afin d’exiger un procès de Mèmène, procès qui serait celui du pouvoir ? Entre temps, sous un pseudonyme je publie dans un numéro spécial de Forum Hebdo, « Une lettre à mon père Mèmène ». Le papier connaît une très forte résonnance.
Nous continuions d’échafauder des plans, montions des stratégies jusqu’à son arrestation pour le fallacieux prétexte de « distributions de tracts diffamatoires et injurieux appelant l’armée à la révolte » Avec ses camarades étudiants, il fut arrêté le 26 aout 1990 et torturé. Nous ne nous sommes revus que le 21 septembre jour de leur procès, au tribunal de Lomé. Ce jour-là, j’y étais pour soutenir nos héros, nos précurseurs. Mais j’y étais pour revoir celui qui depuis était devenu un complice, un ami. Grâce à Logo, j’ai eu le grand privilège de vivre en direct, le début de l’éclosion d’un rêve. Un rêve de vivre dans un Togo libre.
Puis au rendez-vous le 5 Octobre pour " le verdict", le rêve devint réalité sous mes yeux d'incrédule. La jeunesse brisait les tabous et les interdits. L'hymne national : " Terre de nos aïeux" montait vers le ciel et donnait la chair de poule aux témoins présents dans la salle. Un jour nouveau se levait ainsi sur notre pays.

Togonews.info: Que laisse-t-il selon vous comme héritage à la postérité ?

Bassirou Ayeva: Certes, à un moment donné, nos routes se sont séparées. Lui, Logo Dossouvi, a fait sa propre lecture de l’évolution politique du Togo, après la mort du dictateur et l’arrivée de son fils Faure Gnassingbé. L’icône du 5 Octobre 1990, du combat contre le règne sans partage et de surcroit, sanglant de feu Général Gnassingbé Eyadéma, a choisi d’abréger son exil, de rejoindre le pays et de soutenir le fils du défunt dictateur …
Rares sont ses camarades de lutte qui l’ont compris dans cette nouvelle démarche. Mais en homme de conviction, Logo Dossouvi l’a assumé envers et contre tous. Tous, ce sont bien sûr ses camarades de lutte devenus depuis, au nom des dangers de mort qu’ils avaient côtoyés, des amis, des frères. Hélas, cette amitié, cette fraternité n’ont pas survécu au nouveau choix politique du combattant Logo.
Les contacts avec ses anciens camarades du MO5 (Mouvement Patriotique du 5 Octobre) n’ont plus été aussi fréquents, s’ils n’ont pas tout simplement disparu. Avec le recul que nous offre le temps, je trouve personnellement que nous aurions dû respecter son nouveau choix, même si nous ne le comprenions pas ou si nous ne l’acceptions pas vu que Faure a marché sur des centaines de cadavres avant de succéder à son père créant de fait une dynastie des Gnassingbé. Notre déception face au surprenant ralliement du combattant au nouveau maître du pays, nous a empêchés de célébrer la clarté de son action. Homme de conviction contrairement à bon nombre de nos opposants, Logo n'a pas joué avec le destin du peuple, comme certains qui émargent au RPT et qui jouent parallèlement aux opposants virulents…
C’est dire que Logo, comme lui-même le disait à l’époque, assumait son nouveau choix. Il nous laisse donc en partage une leçon courage et de conviction. Ce que Logo laisse en héritage au peuple togolais est palpable, visible. Et cela n’est pas le fait de la disparition du président Fondateur du RPT, mais cela est bel et bien le résultat de la lutte du peuple enclenchée ce 5 Octobre1990. De mémoire d’homme, entre autre héritage, je peux citer pêle-mêle la création des presses privées, la charte des partis, donc l’instauration du multipartisme, la Conférence Nationale Souveraine, certes avec ses excès qu’on peut comprendre…et j’en passe. Les langues s’étaient déliées même du vivant d’Èyadèma. Tout cela est à mettre à l’actif du soulèvement du 5 Octobre dont Logo a été le moteur. Et aujourd’hui, toutes les filles et tous les fils du pays, de l’intérieur ou de la Diaspora profitent de ces acquis. Je n’ai pas attendu le départ sans retour de Logo pour lui signifier combien j’admirais son courage, son sens du sacrifice, son humilité, sa vision pour le Togo, même si parfois il manifestait trop d’émotion ou un enthousiasme excessif face à certaines situations. Lui-même le savait car il l’avait lu dans mon livre « Miroir d’un rêve brisé » ou « Lettre à ma sœur Rissa » publié aux éditions Acte du Sud/ L’Harmattan en 1998. Dans ce travail qui retrace les péripéties de la lutte de 1990 à 1993, je dresse une analyse sur les causes des choix stratégiques ayant entraîné les échecs répétés des forces démocratiques pour enfin proposer de recommencer autrement, j’ai abondamment fait référence à l’inébranlable courage du combattant Logo. Ici, quelques extraits choisis au hasard.
Page 129…“ Je ne me suis heureusement pas trompé de partenaires sur toute la ligne. Aussi m’en voudrais-je de passer en pertes et profits le courage, le sens de la mesure et la lucidité affichée une fois encore par le camarade Logo Dossouvi. Il a été le seul membre de la Coordination présent à Denou à ne pas se laisser frapper par la myopie politique des camarades. Il n’a pas accepté de cautionner ce qui n’était qu’un règlement de compte –par procuration-, un putsch masqué et doublé d’un conflit de leadership. Logo a préféré regarder l’avenir, la lutte en se démarquant clairement … L’histoire retiendra pour tout dire que lui n’a pas contribué à assassiner le MO5“.
… page 134…Dites-vous, pour ceux qui ne le savent pas, que depuis que je suis revenu d’un stage de perfectionnement en Allemagne (Juillet1990), je n’ai cessé de contester la censure qui a toujours sévi dans nos rédactions, que ce soit à la presse écrite, à la radio ou à la télévision. En ce temps-là déjà, je connaissais bien Logo Dossouvi avec qui nous faisions prudemment certaines analyses politiques. Je sentais en lui un désir de changement de l’ordre ancien. Je venais de vivre l’historique chute du mur de Berlin, dont j’en ai ramené des morceaux, symboles de la chute de tous les régimes totalitaires. En rentrant au pays, j’étais donc révolté de savoir que j’y retournais pour servir un quotidien qui n’est autre chose qu’un ramassis des échos de la „ Voix de son maître“…
Page 135-136-„ Je m’assurai que personne ne faisait attention à moi. Puis discrètement, je levai mon pouce droit en signe de salutation à Logo. Celui-ci fit le même geste. Nos yeux se croisèrent. Et les larmes envahirent les miens, mais je les empêchai de tomber. … ce jour-là mon admiration pour Logo et ses co-accusés fut grande…
„ Visiblement émus, et fatigués, les prévenus arrivés un peu plus tôt, et dont Logo semblait être la vedette, attendaient dans le box des accusés... Logo se montra particulièrement acerbe. Il dressa un triste bilan des 23 ans du régime…
…En journaliste et syndicaliste averti, il s’attarda sur ce qu’il était convenu d’appeler „l’affaire Général Mèmène“, dont lui et moi parlions souvent… „Il faut juger Mèmène. Il faut un procès Mèmène“ s’écriait Logo
C’est dire que de son vivant il savait ce que je pensais de lui.

Togonews.info: Avez-vous un appel, un message à l’endroit du peuple togolais ?

Bassirou Ayeva: D’abord, je dirais qu'il est enfin grand temps que nous tirions les enseignements de nos errements et de nos échecs. Désabusés ou résignés, la masse des réfugiés togolais, principale force de l'opposition au sein de la Diaspora et les Togolais, étudiants ou travailleurs, qui représentaient la synergie du combat ne sont plus mobilisés. Il y en a même qui ne veulent plus en entendre parler. La tragique disparition de notre frère Logo, qui a sûrement souffert tout comme nous de la rupture de nos liens amicaux ou fraternels à cause de son choix politique devrait nous amener à nous interpeller. Elle doit sonner la remobilisation. Nous devons poursuivre le combat. Mais cette fois, en y cultivant la tolérance. Nous pouvons être tolérants même en restant fermes, déterminés et vigilants. La culture de la tolérance et de la contradiction doivent accompagner nos gestes de tous les jours dans cette difficile quête de la démocratie pour notre pays.
En terme de message, je saisis l’occasion pour attirer l’attention des leaders de l’opposition qui parlent au nom du peuple de puiser enfin au fond d’eux-mêmes les ressources nécessaires pouvant leur permettre de se surpasser pour se mettre ensemble afin d’abréger les souffrances des populations. Il est temps qu’ils arrêtent de se tirer dans les pattes…Je ne suis ni naïf ni dupe et sais que ce vœux est quasiment impossible. Or, sans l’union de leur voix, de leurs moyens, une définition d’une stratégie qui tienne compte des réalités du pays, notre opposition ne viendra pas à bout du pouvoir. Elle dressera une fois encore un boulevard pour le Prince en 2015. On me dira qu’il ne se représentera pas…Je le souhaite, mais voilà que nous sommes au Togo… L’appel que je me permets de lancer en ce moment où nous pleurons notre illustre disparu est dirigé vers tous ceux qui se disent membres des « forces progressistes ou forces du changement ». Il s’agit des leaders des partis de l’opposition, et de leurs militants, de ceux de la société civile, des syndicats…de la presse libre et de la jeunesse togolaise générations sacrifiées tout au long de ces règnes…Toutes ces forces ont le devoir de faire de la date du 5 Octobre, une date historique, au même titre que celles qui ont contribué à l’émancipation de notre peuple. Au même titre que celle de l’indépendance Cette date doit être celle d’une commémoration, une date du souvenir. Aussi proposerais-je que la date du 5 Octobre soit dénommée « Journée Nationale de la Jeunesse Togolaise», en mémoire de tous nos martyrs. Le gouvernement et le Parlement devraient examiner cette proposition. Et la commémoration ne porterait aucune connotation partisane. Ce jour là la jeunesse devra célébrer l’amour de la patrie commune, mettre en relief son esprit de créativité et son brassage. Nous pourrons définir le concept par la suite.
Rien ne sert de tenter d’éliminer cette date des annales de l’actualité et de l’histoire du pays comme le tentent subtilement de le faire les tenants du pouvoir. Le 5 Octobre est un héritage national commun. Le pouvoir et celles et ceux qui se réclament de son parti, le RPT/ UNIR, doivent s’inspirer de l’héritage de Logo ...
À l’épouse, aux enfants et à la famille de notre frère parti les armes à la main, nous renouvelons nos condoléances les plus attristées et prions pour que notre frère "Fétiche", « DHL », repose en paix.

Entretien réalisé par Ali Tchassanti pour la Rédaction de www.togonews.info